Les Hommes illustres et les Génies
Visconti avait prévu de faire figurer sous les arcades du rez-de-chaussée de la Cour Napoléon, des statues monumentales représentant les Hommes illustres des arts, des lettres, des sciences, les grands hommes d’Etat.
Lefuel modifia peu les plans initiaux de Visconti mais l’un de ses ajustements importants, fut de placer ces statues en bordure des terrasses du premier étage, apportant ainsi une plus grande verticalité à l’architecture d’ensemble.
Quatre-vingt six Hommes illustres sont ainsi installés sur les ailes de la cour Napoléon, y compris les ailes en retour Molien et Turgot donnant sur le Carrousel.
Le choix des personnages historiques fut guidé par une volonté de donner de la France de l’empire, l’image d’un pays pacifique avec une longue lignée d’hommes de lettres, d’hommes de sciences et d’hommes politiques. Pour la sélection des personnages illustres, seuls les hommes dont la célébrité était antérieure au XIXe siècle, pouvaient être retenus. Tous les personnages choisis sont bien décédés avant la fin du XIXe, sauf Houdon (disparu en 1828). Aucune autre exception ne fut acceptée, sans doute afin d’éviter toute polémique. Malgré la réputation de David dans le pays et les pressions de ses héritiers et même de Lefuel, le ministre d’Etat, Achille Fould, resta intraitable et la statue de David ne fut pas érigée.
Les hommes illustres semblent avoir été installés sans logique apparente, comme si le hasard avait présidé à leur répartition sur les différentes ailes de la Cour Napoléon.
On doit noter une volonté d’honorer en premier lieu la France de la culture, avec ses hommes de lettres (vingt-cinq statues), ensuite les artistes (dix-huit statues), les scientifiques (onze statues). On trouve aussi neuf hommes d’Etat et huit hommes d’église. Un seul militaire est mis à l’honneur, Vauban, sans doute en raison de son passé d’homme politique et d’architecte.
Il faut bien constater qu’aucune femme n’est présente dans cette galerie de portraits.
Lefuel décora aussi les balustrades du deuxième étage de groupes de deux mètres (hauteur indispensable pour être réellement visibles des promeneurs). Ces groupes sont des génies ou enfants avec attributs.
Pour ces génies, les thèmes sont nombreux et tournent autour des Arts (Art égyptien, Art étrusque, Renaissance,..), de la Science (Astronomie, Médecine, …), de la Nature (Eau, Automne, Eté, …), de l’Industrie (Mécanique, Vapeur,.. ), de l’Agriculture (Moisson, Vendanges, Pêche, …), du monde (Asie, Océanie, Afrique, ..). Et quelquefois, sont aussi évoquées la Guerre et la Paix.
Ces génies sont présents sur le pourtour de la cour Napoléon et aussi sur les terrasses des pavillons Lesdiguières, de Rohan, de Trémoille et du pavillon des Etats.
Les génies ont été commandés en général à des auteurs moins connus mais on trouve cependant quelques sculpteurs réputés de l’époque comme Jean Baptiste Carpeaux (Marine), François Jouffroy (Art égyptien), Aimé Millet (Vigilance), Pierre Alexandre Schoenewerk (Chasse, Moisson), Pierre Hébert, père (Art étrusque).
Les auteurs connus ou peu connus ont tous cherché, avec souvent l’appui d’un député, d’une personnalité de l’empire, à faire partie des artistes sélectionnés pour la décoration du nouveau Louvre. Les demandes étaient presque toujours légitimes, soit au titre du prestige que procurait la commande d’une œuvre pour le Louvre, soit au titre tout simplement du confort financier (Lefuel dans un courrier à Achille Fould fait état de l’état de « gêne sérieux de la plupart des sculpteurs »).
En tant qu’architecte de l’empereur, Lefuel recevait personnellement de nombreux courriers demandant ses faveurs. Même ceux qui avaient déjà reçu une commande, s’empressaient de solliciter un nouveau travail. Victor Thérasse, auteur de Rigaud, dans un courrier du 21 février 1857 à Lefuel, écrivait : « Permettez moi d’avoir l’honneur de vous rappeler que je vous ai remis une lettre de recommandation de Monsieur le Comte de Nieuwerkerke, tendant à me faire avoir un nouveau travail dans les nombreux travaux qui sont à votre disposition. Je me recommande particulièrement à votre bienveillante bonté pour obtenir un nouveau travail dont j’ai le plus grand besoin ».
Malgré l’immense tâche qu’il devait assumer sur le chantier du Louvre, Lefuel suivait avec une attention toute particulière et sans défaillance, le travail des artistes pour vérifier si les œuvres correspondaient bien à sa vision artistique, si la cohérence et l’harmonie d’ensemble étaient bien assurées. Il donnait son avis à tous les stades de l’exécution d’une œuvre. Il intervenait au moment du descriptif de la sculpture commandée, lors de l’avant projet en modelage ou en plâtre, et de l’exécution finale. Et nombre d’œuvres furent refusées par lui ou la commission installée par le ministre d’Etat. Pour les Hommes illustres, Antoine Etex se vit refuser son Vauban (commande passée ensuite à Gustave Crauk), Foyatier son Sully (exécuté par Vital Gabriel Dubray), Gabriel Joseph Garraud son Goujon (réalisé finalement par Bernard Gabriel Seure, aîné).
Du Cerceaux de Louis Léopold Chambard ayant un défaut de la pierre, c’est Georges Diébolt qui est l’auteur de l’œuvre exposée.
Pour les Génies avec attributs, les refus sont plus nombreux : la Vapeur de Roland Mathieu-Meusnier, la Chasse d’Aimé Napoléon Perrey, la Marine de Victor Thérasse, le Printemps d’Isidore Romain Boitel, la Vendange de Louis Jospeh Daumas, l’Art Egyptien de Charles Pierre Emilien Cabuchet, la Force de Joseph Marius Ramus, la Moisson de Irvoy, l’Art Etrusque d’Alexandre Oliva, la Forge d’Armand Jules Le Véel (oeuvre refusée puis acceptée et finalement détruite par accident). L’Automne d’Emile Chatrousse a été refusé puis après quelques retouches, fut acceptée.
Les statues refusées furent toutes payées à la demande de Lefuel.